« Imaginarium » : machine qui rêve
Pas facile d’innover dans le cadre déjà bien exploré des jeux de gestion de ressources. Imaginarium, avec son parti-pris graphique osé, fantasque, délirant, et son thème envoûteur, semble nous inviter à une nouvelle découverte. Que se cache-t-il sous cette belle carrosserie ?
Imaginarium nous transporte dans l’atelier des rêves, où s’achètent, se construisent et se démontent les machines qui permettront de produire, certes des rêves, mais surtout du charbon, du bois, du cuivre et du cristal. Autant de ressources qui collent parfaitement à l’ambiance steampunk du jeu, mais pas à son thème onirique. Les rêves à vrai dire ne sont vraiment portés que par les illustrations, extrêmement originales ; mais le jeu, rempli de cubes en bois et de machines, est avant tout un jeu de production classique.
Sur ce terrain, Imaginarium propose tout de même deux innovations : le fait de pouvoir combiner des machines, et de pouvoir les démonter. La combinaison, malgré les apparences, n’est pas si extravagante que ça. Vu l’univers, vues les illustrations photomontées, on aurait pu croire qu’il s’agirait d’imaginer des machines toujours plus folles et plus improbables… il ne s’agit, à vrai dire, que d’associer les pouvoirs de machines de production identiques pour produire encore plus de la même ressource, ou de les combiner à une (seule) machine de transformation pour transformer immédiatement la ressource produite. Combiner une machine produisant du bois avec une autre transformant le bois en cuivre permet donc… de produire du cuivre.
Plus intéressant est l’idée de démonter ses machines, qui nous ont coûté tant de ressources à acheter et réparer. Mais les démanteler prouve notre talent de mécanicien, et rapporte des points de victoire. Habituellement, la finalité de l’achat d’un outil de production, dans un jeu de gestion, est d’accumuler des ressources qui vont nous mener vers la victoire. Ici, les ressources elles-même ne rapportent de points de victoire qu’à la marge. Elles servent avant tout à acheter des machines. Qui donneront des ressources, certes, mais que l’on pourra démonter pour gagner des points de victoire, en se privant toutefois de leur pouvoir de production.
L’idée ici est donc vraisemblablement de limiter l’effet boule de neige d’un bon début de partie : dans le schéma classique d’un jeu de gestion, le joueur le plus efficace dans sa production se servira pour améliorer sa capacité de production plus vite que les autres, de plus en plus vite, jusqu’à la victoire. Ici, pour gagner, il faut volontairement se priver de ses machines de production (ou passer par des chemins détournés : rares et coûteuses machines à point de victoires, échanges au marché limités). Sans révolutionner le jeu de gestion, voici donc la petite orginialité mécanique offerte par Imaginarium.
Au prix d’une certaine faiblesse narrative. Non seulement le thème est ici relativement indifférent, et ne colle pas spécialement aux mécaniques du jeu — c’est une caractéristique récurrente des jeux de gestion et qui n’en dérangera pas les amateurs. Mais ces mécaniques sont peu parlantes elles-mêmes, dans la mesure où les actions qui rapportent la victoire ont peu de logique dans la structure d’un jeu de production. Réussir à combiner ses machines avec efficacité, à les acheter dans un ordre logique qui permette de les assembler à un rythme soutenu malgré la taille réduite de l’atelier, et obtenir ainsi une grande capacité de production de ressources… ne sert à rien. Il faut démonter, valider des objectifs, se priver de ses ressources pour les échanger au marché contre des points de victoire… autant de mécaniques intéressantes mais peu intuitives qui font obstacle à la lisibilité narrative du jeu. Et qui peuvent être frustrantes.
Bruno Cathala, l’auteur du jeu, ne refuse pas la frustration. Ouvertement, il la recherche, comme un ressort qui incite à faire une autre partie, à explorer d’autres stratégies, à aller au bout de pistes que l’on n’a pu qu’effleurer dans la partie… À cet égard, Imaginarium est bien un « Cathala » : les principes du jeu sont intéressants et riches, les stratégies gagnantes variées, et la fin de partie parfois tellement brutale et surprenante qu’elle laisse un goût de revenez-y certain. Ajoutons que le mode pour deux joueurs fonctionne très bien, et permet de retrouver l’effervescence compétitive des parties plus peuplées. Contrairement à d’autres jeux du même auteur, cette absence de lisibilité autant thématique que stratégique, la sécheresse des principes de score et les fins de parties abruptes peuvent rebuter les joueurs qui aiment, même à des jeux de gestion, se raconter des histoires. Mais gageons que qualité de la mécanique (et du matériel) sauront convaincre tous les autres.
[En collaboration avec Samuel Miloux]
Imaginarium, de Bruno Cathala et Florent Sirieix (Bombyx)
2 à 4 joueurs, à partir de 14 ans.
Durée : environ 90 min.
http://www.studiobombyx.com/